Tu vis, je bois l’azur . . .
Tu vis, je bois l’azur qu’épanche ton visage,
Ton rire me nourrit comme d’un blé plus fin,
Je ne sais pas le jour, où, moins sûr et moins sage,
Tu me feras mourir de faim.
Solitaire, nomade et toujours étonnée,
Je n’ai pas d’avenir et je n’ai pas de toit,
J’ai peur de la maison, de l’heure et de l’année
Où je devrai souffrir de toi.
Même quand je te vois dans l’air qui m’environne,
Quand tu sembles meilleur que mon coeur ne rêva,
Quelque chose de toi sans cesse m’abandonne,
Car rien qu’en vivant tu t’en vas.
Tu t’en vas, et je suis comme ces chiens farouches
Qui, le front sur le sable où luit un soleil blanc,
Cherchent à retenir dans leur errante bouche
L’ombre d’un papillon volant.
Tu t’en vas, cher navire, et la mer qui te berce
Te vante de lointains et plus brûlants transports.
Pourtant, la cargaison du monde se déverse
Dans mon vaste et tranquille port.
Ne bouge plus, ton souffle impatient, tes gestes
Ressemblent à la source écartant les roseaux.
Tout est aride et nu hors de mon âme, reste
Dans l’ouragan de mon repos!
Quel voyage vaudrait ce que mes yeux t’apprennent,
Quand mes regards joyeux font jaillir dans les tiens
Les soirs de Galata, les forêts des Ardennes,
Les lotus des fleuves indiens?
Hélas! quand ton élan, quand ton départ m’oppresse,
Quand je ne peux t’avoir dans l’espace où tu cours,
Je songe à la terrible et funèbre paresse
Qui viendra t’engourdir un jour.
Toi si gai, si content, si rapide et si brave,
Qui règnes sur l’espoir ainsi qu’un conquérant,
Tu rejoindras aussi ce grand peuple d’esclaves
Qui gît, muet et tolérant.
Je le vois comme un point délicat et solide
Par delà les instants, les horizons, les eaux,
Isolé, fascinant comme les Pyramides,
Ton étroit et fixe tombeau;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
— J’ai vu sous le soleil d’un antique rivage
Qui subit la chaleur comme un céleste affront,
Des squelettes légers au fond des sarcophages,
Et j’ai touché leurs faibles fronts.
Et je savais que moi, qui contemplais ces restes,
J’étais déjà ce mort, mais encor palpitant,
Car de ces ossements à mon corps tendre et preste
Il faut le cours d’un peu de temps…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Faut-il . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Que plus froid que le froid, sans regard, sans oreille,
Germe qui se rendort dans l’oeuf universel,
Vous soyez cette cire âcre, dont les abeilles
Écartent leur vol fraternel!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mon enfant, je me hais, je méprise mon âme,
Ce détestable orgueil qu’ont les filles des rois,
Puisque je ne peux pas être un rempart de flamme
Entre la triste mort et toi!
Mais puisque tout survit, que rien de nous ne passe,
Je songe, sous les cieux où•la nuit va venir,
A cette éternité du temps et de l’espace
Dont tu ne pourras pas sortir.
— O beauté des printemps, alacrité des neiges,
Rassurantes parois du vase immense et clos
Où, comme de joyeux et fidèles arpèges,
Tout monte et chante sans repos!
Les Journées romaines
L’éther pris de vertige et de fureur tournoie,
Un luisant diamant de tant d’azur s’extrait.
Virant, psalmodiant, le vent divise et ploie
La pointe faible des cyprès.
C’est en vain que les eaux écumeuses et blanches,
Captives tout en pleurs des lourds bassins romains,
S’élèvent bruyamment, s’ébattent et s’épanchent:
Neptune les tient dans sa main.
Je contemple la rage impuissante des ondes;
Dans cette vague éparse en la jaune cité,
C’est vous qu’on voit jaillir, conductrice des mondes,
Amère et douce Aphrodité!
L’odeur de la chaleur, languissante et créole,
Stagne entre les maisons qui gonflent de soleil;
Comme un coureur ailé le ciel bifurque et vole
Au bord tranchant des toits vermeils;
Et là-bas, sous l’azur qui toujours se dévide,
Un jet d’eau, turbulent et lassé tour à tour,
Semble un flambeau d’argent, une torche liquide
Qu’agite le poing de L’Amour.
Rome ploie, accablé de grappes odorantes,
La surhumaine vie envahit l’air ancien,
Les chapiteaux brisés font fleurir leurs acanthes
Aux thermes de Dioclétien!
Dans ce cloître pâmé, des bacchantes blêmies
Gisent; silence, azur, léthargiques dédains!
Le soleil tombe en feu sur la gorge endormie
De ces Danaés des jardins…
Ils dorment là, liés par les roses païennes,
Ces corps de marbre blond, las et voluptueux:
O mes soeurs du ciel grec, chères Milésiennes,
Que de siècles sont sur vos yeux!
L’une d’elles voudrait se dégager; sa hanche
Soulève le sommeil ainsi qu’un flot trop lourd,
Mais tout le poids des temps et de l’azur la penche:
Elle rêve là pour toujours.
Midi luit; la villa des chevaliers de Malte
Choit comme une danseuse aux pieds brûlants et las.
Comme un fauve tigré l’air jaunit et s’exalte;
Une nymphe en pierre vit là.
Elle a les bras cassés, mais sa force éternelle
Empourpre de plaisir ses genoux triomphants;
Le néflier embaume, un jet d’eau est, près d’elle,
Secoué d’un rire d’enfant.
Les dieux n’ont pas quitté la campagne romaine,
Euterpe aux blonds pipeaux, Erato qui sourit,
Dansent dans le jardin Mattei, où se promène
Le saint Philippe de Néri.
— Mais c’est vous qui, ce soir, partagez mon malaise,
Dans l’église sans voix, au mur pâle et glacé,
Déesse catholique, ô ma sainte Thérèse,
Qui soupirez, les yeux baissés!
Malgré vos airs royaux, et la fierté divine
Dont s’enveloppe encor votre coeur emporté,
L’angoisse de vos traits permet que l’on devine
Votre douce mendicité.
O visage altéré par l’ardente torture
D’attendre le bonheur qui descend lentement,
Appel mystérieux, hymne de la nature,
Désir de l’immortel amant!
Je vous offre aujourd’hui, parmi l’encens des prêtres,
Comme un grain plus brûlant mis dans vos encensoirs,
Le rire que j’entends au bas de la fenêtre
Où je rêve seule le soir;
C’est le rire joyeux, épouvanté, timide
De deux enfants heureux, éperdus, inquiets,
Qui joignent leurs regards et leurs lèvres avides,
— Et dont tout le sanglot riait!
Ils riaient, ils étaient effrayés l’un de l’autre;
Un jet d’eau s’effritait dans le lointain bassin;
La lune blanchissait, de sa clarté d’apôtre,
La terrasse des Capucins.
Une palme portait le poids mélancolique
De l’éther sans zéphyr, sans rosée et sans bruit;
Rien ne venait briser son attente pudique,
Que ce rire aigu dans la nuit!
Et je n’entendis plus que ce rire nocturne,
Plus fort que les senteurs des terrasses de miel,
Plus vif que le sursaut des sources dans leur urne,
Plus clair que les astres au ciel.
— Je le prends dans mes mains, chaudes comme la lave,
Je le mêle aux élans de mon éternité,
Ce rire des humains, si farouche et si grave,
Qui prélude à la volupté!
Syracuse
Excite maintenant les compagnons du choeur
à célébrer l’illustre Syracuse!…
PINDARE.
Je me souviens d’un chant du coq, à Syracuse!
Le matin s’éveillait, tempétueux et chaud;
La mer, que parcourait un vent large et dispos,
Dansait, ivre de force et de lumière infuse!
Sur le port, assailli par les flots aveuglants,
Des matelots clouaient des tonneaux et des caisses,
Et le bruit des marteaux montait dans la fournaise
Du jour, de tous ces jours glorieux, vains et lents;
J’étais triste. La ville illustre et misérable
Semblait un Prométhée sur le roc attaché;
Dans le grésillement marmoréen du sable
Piétinaient les troupeaux qui sortaient des étables;
Et, comme un crissement de métal ébréché,
Des cigales mordaient un blé blanc et séché.
Les persiennes semblaient à jamais retombées
Sur le large vitrail des palais somnolents;
Les balcons espagnols accrochaient aux murs blancs
Broyés par le soleil, leurs ferrures bombées:
Noirs cadenas scellés au granit pantelant…
Dans le musée, mordu ainsi qu’un coquillage
Par la ruse marine et la clarté de l’air,
Des bustes sommeillaient, — dolents, calmes visages,
Qui s’imprègnent encor, par l’éclatant vitrage,
De la vigueur saline et du limpide éther.
Une craie enflammée enveloppait les arbres;
Les torrents secs n’étaient que des ravins épars,
De vifs géraniums, déchirant le regard,
Roulaient leurs pourpres flots dans ces blancheurs de marbre.
— Je sentais s’insérer et brûler dans mes yeux
Cet éclat forcené, inhumain et pierreux.
Une suture en feu joignait l’onde au rivage.
J’étais triste, le jour passait. La jaune fleur
Des grenadiers flambait, lampe dans le feuillage.
Une source, fuyant l’étreignante chaleur,
Désertait en chantant l’aride paysage.
Parfois sur les gazons brûlés, le pourpre épi
Des trèfles incarnats, le lin, les scabieuses,
Jonchaient par écheveaux la plaine soleilleuse,
Et l’herbage luisait comme un vivant tapis
Que n’ont pas achevé les frivoles tisseuses.
Le théâtre des Grecs, cirque torride et blond,
Gisait. Sous un mûrier, une auberge voisine
Vendait de l’eau: je vis, dans l’étroite cuisine,
Les olives s’ouvrir sous les coups du pilon
Tandis qu’on recueillait l’huile odorante et fine.
Et puis vint le doux soir. Les feuilles des figuiers
Caressaient, doigts légers, les murailles bleuâtres.
D’humbles, graves passants s’interpellaient; les pieds
Des chevreaux au poil blanc, serrés autour du pâtre,
Faisaient monter du sol une poudre d’albâtre.
Un calme inattendu, comme un plus pur climat,
Ne laissait percevoir que le chant des colombes.
Au port, de verts fanaux s’allumaient sur les mâts,
Et l’instant semblait fier, comme après les combats
Un nom chargé d’honneur sur une jeune tombe.
C’était l’heure où tout luit et murmure plus bas…
La fontaine Aréthuse, enclose d’un grillage,
Et portant sans orgueil un renom fabuleux,
Faisait un bruit léger de pleurs et de feuillage
Dans les frais papyrus, élancés et moelleux…
Enfin ce fut la nuit, nuit qui toujours étonne
Par l’insistante angoisse et la muette ardeur.
La lune plongeait, telle une blanche colonne,
Dans la rade aux flots noirs, sa brillante liqueur.
Un solitaire ennui aux astres se raconte;
Je contemplais le globe au front mystérieux,
Et qui, ruine auguste et calme dans les cieux,
Semble un fragment divin, retiré, radieux,
De vos temples, Géla, Ségeste, Sélinonte!
— O nuit de Syracuse: Urne aux flancs arrondis!
Logique de Platon! Ame de Pythagore!
Ancien Testament des Hellènes; amphore
Qui verses dans les coeurs un vin sombre et hardi,
Je sais bien les secrets que ton ombre m’a dits.
Je sais que tout l’espace est empli du courage
Qu’exhalèrent les Grecs aux genoux bondissants;
Les chauds rayons des nuits, la vapeur des nuages
Sont faits avec leur voix, leurs regards et leur sang.
Je sais que des soldats, du haut des promontoires,
Chantant des vers sacrés et saluant le sort,
Se jetaient en riant aux gouffres de la mort
Pour retomber vivants dans la sublime Histoire!
Ainsi ma nuit passait. L’ache, l’anet crépu
Répandaient leurs senteurs. Je regardais la rade;
La paix régnait partout où courut Alcibiade,
Mais, — noble obsession des âges révolus, —
L’éther semblait empli de ce qui n’était plus…
J’entendis sonner l’heure au noir couvent des Carmes.
L’espace regorgeait d’un parfum d’orangers.
J’écoutais dans les airs un vague appel aux armes…
— Et le pouvoir des nuits se mit à propager
L’amoureuse espérance et ses divins dangers:
O désir du désir, du hasard et des larmes!
L’Île des folles à Venise
La lagune a le dense éclat du jade vert.
Le noir allongement incliné des gondoles
Passe sur cette eau glauque, et sous le ciel couvert.
— Ce rose bâtiment, c’est la maison des folles.
Fleur de la passion, île de Saint-Clément,
Que de secrets bûchers dans votre enceinte ardente!
La terre desséchée exhale un fier tourment,
Et l’eau se fige autour comme un cercle du Dante.
— Ce soir mélancolique où les cieux sont troublés,
Où l’air appesanti couve son noir orage,
J’entends ces voix d’amour et ces coeurs exilés
Secouer la fureur de leurs mille mirages!
Le vent qui fait tourner les algues dans les flots
Et m’apporte l’odeur des nuits de Dalmatie,
Guide jusqu’à mon coeur ces suprêmes sanglots.
— O folie, ô sublime et sombre poésie!
Le rire, les torrents, la tempête, les cris
S’échappent de ces corps que trouble un noir mystère.
Quelle huile adoucirait vos torrides esprits,
Bacchantes de l’étroite et démente Cythère?
Cet automne, où l’angoisse, où la langueur m’étreint,
Un secret désespoir à tant d’ardeur me lie;
Déesse sans repos, sans limites, sans frein,
Je vous vénère, active et divine Folie!
— Pleureuses des beaux soirs voisins de l’Orient,
Déchirez vos cheveux, égratignez vos joues.
Pour tous les insensés qui marchent en riant,
Pour l’amante qui chante, et pour l’enfant qui joue.
O folles! aux judas de votre âpre maison
Posez vos yeux sanglants, contemplez le rivage:
C’est l’effroi, la stupeur, l’appel, la déraison,
Partout où sont des mains, des yeux et des visages.
Folles, dont les soupirs comme de larges flots
Harcèlent les flancs noirs des sombres Destinées,
Vous sanglotez du moins sur votre morne îlot;
Mais nous, les coeurs mourants, nous, les assassinées,
Nous rôdons, nous vivons; seuls nos profonds regards,
Qui d’un vin ténébreux et mortel semblent ivres,
Dénoncent par l’éclat de leurs rêves hagards
L’effroyable épouvante où nous sommes de vivre.
— Par quelle extravagante et morne pauvreté,
Par quel abaissement du courage et du rêve
L’esprit conserve-t-il sa chétive clarté
Quand tout l’être éperdu dans l’abîme s’achève?
— O folles, que vos fronts inclinés soient bénis!
Sur l’épuisant parcours de la vie à la tombe
Qui va des cris d’espoir au silence infini,
Se pourrait-il vraiment qu’on marche sans qu’on tombe?
Se pourrait-il vraiment que le courage humain,
Sans se rompre, accueillît l’ouragan des supplices?
Douleur, coupe d’amour plus large que les mains,
Avoir un faible coeur, et qu’un Dieu le remplisse!
— Amazones en deuil, qui ne pouvez saisir
L’ineffable langueur éparse sur les mondes,
Sanglotez! A vos cris de l’éternel désir,
Des bords de l’infini les amants vous répondent…
Ainsi les jours légers . . .
Ainsi les jours légers, et qui te ressemblaient
Par la coloration chaleureuse des heures,
Ont de toi fait un mort, la nuit, dans ta demeure,
Et l’aube, lentement, a blanchi tes volets…
Et tu fus là, dormant, à jamais insensible,
Laissant monter sur ceux que tu privais de toi
Ces grands fardeaux du temps aux contours inflexibles;
J’ai l’âge de ce jour où je t’ai vu sans voix:
Sans regard et sans voix, achevant ma jeunesse
Par ce spectacle affreux de faiblesse et de paix,
Que mes yeux arrêtés puisaient avec détresse
Sur ton front assombri, si pauvre et si parfait.
Les fleurs, entre tes mains et contre ton doux être,
Parfumaient froidement ton éternel répit;
Jamais je ne verrai l’été sans reconnaître
Ce jardin qui mourait sur ton coeur assoupi!
Et tu n’étais plus là, malgré ton fin visage,
Le dernier de toi-même et qui me plaît le plus;
O visage accablé, suprême paysage
D’un jour de fin du monde, et qu’on ne verra plus!
Les vivants ont repris leurs errantes coutumes;
Ils sont un autre peuple, et tu ne peux toujours
Hanter de ta suave et poétique brume
Ces malheureux, guidés par d’alertes amours.
Mais leur vague existence est par l’ombre absorbée,
Ils meurent chaque jour, sans enfoncer en nous
Ces pointes du malheur, que ta main dérobée
Fixe encor dans mon coeur comme de sombres clous…