VI
Ils ont inventé l’âme afin que l’on abaisse
Le corps, unique lieu de rêve et de raison,
Asile du désir, de l’image et des sons,
Et par qui tout est mort dès le moment qu’il cesse.
Ils nous imposent l’âme, afin que lâchement
On détourne les yeux du sol, et qu’on oublie,
Après l’injurieux ensevelissement,
Que sous le vin vivant tout est funèbre lie.
— Je ne commettrai pas envers votre bonté,
Envers votre grandeur, secrète mais charnelle,
Ô corps désagrégés, ô confuses prunelles,
La trahison de croire à votre éternité.
Je refuse l’espoir, l’altitude, les ailes,
Mais étrangère au monde et souhaitant le froid
De vos affreux tombeaux, trop bas et trop étroits,
J’affirme, en recherchant vos nuits vastes et vaines,
Qu’il n’est rien qui survive à la chaleur des veines !
XII
Habitante éthérée et fixe des tombeaux,
Dont l’âme a soulevé les portes funéraires,
Je répands, dans ma juste et songeuse misère,
L’encens du noir séjour sur les clartés d’en haut.
Un livide univers m’enveloppe et m’étonne.
Dans un effort ardu, débile et monotone,
Mon trébuchant esprit s’efforce et se démet:
Je sens que tu es mort, et ne le sais jamais!
LXIII
La femme, durée infinie,
Rêveuse d’éternels matins,
Dans la puissance de l’instinct
Veut créer. Mais cette agonie
Plus tard, un jour, de son enfant,
Cette peur, ces sueurs, ces transes,
Ce mourant que rien ne défend,
En garde-t-elle l’ignorance?
Et toute mère, sans remords,
Triomphante et pourtant funèbre,
Voue une âme aux longues ténèbres,
Et met au monde un homme mort…